Quand la Technique rencontre l’Elégance

Rencontre avec le joaillier français qui crée pour ceux qui veulent quelque chose de différent.

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Le mot “non” peut être une grande source de motivation. Danseur de formation, James de Givenchy a quitté Paris pour New York afin de poursuivre sa vie sur scène, mais une blessure l’a empêché de s’adonner à sa première passion. Issu d’une famille très créative, son oncle est le célèbre couturier Hubert de Givenchy, qui a notamment habillé Audrey Hepburn. La recherche de la beauté et d’une vie artistique a conduit le jeune ex-pat dans le monde raréfié des maisons de vente aux enchères internationales, d’abord Christie’s, puis Sotheby’s. C’est là qu’il s’est lancé dans une formation intensive au monde de la joaillerie. Après avoir lancé sa propre collection en 1996, il a connu un succès rare et a été plébiscité par des amateurs du monde entier. Malgré cette excellente réputation, il lui arrive encore d’entendre le mot “non” lorsqu’il s’agit de tester les limites du montage de bijoux rares. C’est alors qu’il sait, une fois de plus, qu’il tient quelque chose de particulier.

Only Natural Diamonds: D’où vient votre vocation de créateur et de designer?

James de Givenchy: Mon oncle [Hubert de Givenchy] a eu une grande influence sur moi pendant mon enfance. Je me souviens d’avoir regardé chaque collection lancée et d’avoir pris [les critiques] très à cœur. Je suis parti en Amérique pour devenir danseur, mais comme cela n’a pas marché à cause d’une blessure au genou, j’ai brièvement envisagé de me lancer dans la chorégraphie. Mon père m’avait dit : “Tu peux faire l’art que tu veux, mais tu devras en vivre parce que je ne m’occuperai pas de toi”. Et il avait raison. Il faut être indépendant.

Finalement, j’ai choisi d’aller au Fashion Institute of Technology de New York pour étudier le graphisme, ce qui, à l’époque, semblait être une bonne idée, jusqu’à ce que je sois diplômé et que toutes les entreprises de graphisme fusionnent. C’était en 1986… Je me suis retrouvé sur un banc avec mon portfolio du FIT aux côtés de directeurs de la création qui cherchaient le même job que moi. Mon premier emploi à plein temps à New York a été celui de développeur chez Photostats, dans la chambre noire, pendant l’été. Ce n’était pas très amusant. Peu de temps après, j’ai été transféré à l’étage et j’ai enfin eu une table pour dessiner. Mon premier projet consistait à concevoir des fermetures de couches… C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je voulais faire quelque chose de plus satisfaisant.

SI VOUS VOUS CONCENTREZ
UNIQUEMENT SUR LE
CONTEMPORAIN, VOUS
NE DÉCOUVRIREZ JAMAIS
LES GRANDES ÉPOQUES
DE LA JOAILLERIE

Bague en céramique, platine et or rose 18 carats, diamant cabochon de 6,07 carats et pavage diamants.

De fil en aiguille, j’ai travaillé à la boutique Givenchy de New York. À un moment donné, mon frère, qui était architecte à Paris, m’a demandé de travailler à New York. Cela m’a plu jusqu’à ce qu’il me demande de revenir à Paris et que je lui dise : “Je ne suis pas prêt”.

J’ai donc cherché un nouveau job…Christie’s ouvrait alors des postes et j’ai travaillé au comptoir pendant six ou sept mois avant que le chef du département bijoux, François Curiel, ne me demande de monter à l’étage à cause de mon accent. Il m’a dit qu’ils avaient besoin de quelqu’un avec un accent français pour répondre au téléphone.

Je montais ma première exposition chez Christie’s quand mon oncle est entré. C’était un homme extraordinaire. Il était au courant de tout. Lorsqu’il a vu le gros diamant à la fin de la vente, il s’est arrêté un instant et a dit : “Laisse-moi te montrer quelque chose”. Il est retourné à la première vitrine en disant : “Les gros diamants sont magnifiques, mais cette broche montre ce qu’est la joaillerie. Il s’agit d’assembler le tout. C’est cette idée qui a déclenché quelque chose en moi. Christie’s m’a proposé une formation. Honnêtement, il n’y a pas de meilleur endroit pour se former qu’une maison de vente aux enchères pour quelqu’un qui veut devenir bijoutier. Vous comprenez ce qu’il faut pour fabriquer une pièce. Car si vous vous concentrez uniquement sur le contemporain, vous ne découvrirez jamais les grandes époques de la joaillerie, comme les années 20 en France, par exemple. Ainsi vous découvrirez la technique et ce qui est nécessaire à la fabrication.

Collier Diamant brun clair 22,85 Carats Taille Marquise, Céramique Rouge & Or Rose 18 carats

C’est là que je suis vraiment tombé amoureux du secteur et du défi que représentait la création et la fabrication de bijoux, avec ou sans pierres. J’ai ensuite suivi des cours au GIA (Gemological Institute of America) et j’ai passé six ans chez Christie’s. J’ai ensuite été engagé par Verdura. 

J’ai fini par vouloir créer ma propre entreprise, mais lorsque j’ai quitté Verdura sans rien, je me suis demandé ce que j’allais faire. C’est alors qu’une cliente m’a appelé à l’improviste. Elle m’a dit : “James, j’ai un dessin de Verdura qui ne me plaît pas. Vous m’avez toujours aidée chez Christie’s et j’aimerais bien voir, maintenant que vous faites des bijoux, si vous pouvez faire un dessin. »

J’ai donc fait mon premier dessin et elle l’a adoré. C’est la première pièce que j’ai réalisée en tant que commande spéciale pour un client. C’était en 1996. En 2000, j’ai ouvert Taffin au-dessus de la boutique Givenchy sur Madison. C’est maintenant une boutique Carolina Herrera. Depuis, j’essaie de faire de nouvelles créations chaque année, chaque jour.

OND: Il semble que beaucoup de vos histoires commencent par une pierre. Qu’est-ce qui vous pousse à créer un nouveau bijou ? Une idée ou une pierre ou un ensemble de plusieurs pierres ?


JDG
: La plupart du temps tout part d’une pierre. Je considère toujours le coffre-fort [des bijoux] comme le réfrigérateur de la cuisine. Lorsque je vais à une exposition, j’achète des pièces dont je ne sais pas vraiment quoi faire, et c’est comme si j’ouvrais le réfrigérateur avant de cuisiner quelque chose de merveilleux. Je sors des pièces, je joue avec elles, je déplace la pierre et je l’associe à d’autres pierres. Parfois, au bout d’un certain temps, soit je m’engage et je connais la direction à prendre, soit la pierre retourne dans le coffre-fort – ou dans le réfrigérateur – pour un certain temps.

Paire de diamants taille baguette d’un carat, D, IF, sertis dans une paire de bagues en céramique, platine et or 18 carats.

OND: Comment concilier la création de pièces uniques et de produits immédiatement reconnaissables ?

JDG: Cela ne me vient pas vraiment à l’esprit. La création est probablement la chose la plus difficile. Je ne cherche pas spécifiquement à faire de nouvelles choses, j’essaie de ne pas me répéter. Si je me sens paresseux et que je tombe dans une direction trop facile, je l’abandonne et j’essaie quelque chose de nouveau. Parfois, cela prend du temps et il faut jouer avec une idée.

Cette expression, “sortir des sentiers battus”, est très importante. Elle vous aide à rafraîchir votre façon de voir les choses. Vous pourriez penser que quelque chose ne peut pas être fait ou ne devrait pas être fait, mais ce n’est pas le cas. Cela ressemble à l’esprit Taffin simplement parce que j’avais des proportions dans mon esprit et dans mon âme. Je n’essaie pas. De temps en temps, je suis surpris par une pièce qui ne ressemble pas à l’esprit Taffin.

OND: Quelle est, selon vous, la chose la plus importante à faire en tant que mentor ? Quelle est votre responsabilité? 


JDG
: C’est merveilleux d’écouter et de voir ce que les jeunes ont en tête lorsqu’il s’agit de leur avenir et de l’avenir de la bijouterie. Je me rends compte qu’en fait, nous avons besoin de plus d’écoles si nous voulons sauver ce secteur. Je pense que l’Europe dispose d’excellentes écoles dans ce domaine, mais on ne peut pas apprendre la joaillerie si on ne s’entraine pas sur établi, dans un atelier.

Bracelet avec diamant de 12,32 carats en forme de cerf-volant, perles en pierre de lune, caoutchouc et platine.

OND: Mais revenons au réfrigérateur. Quelles sont les qualités que vous recherchez dans un diamant pour décider si vous voulez l’utiliser ?

JDG: En réalité, la première chose que je vois est la taille. Je regarde rarement la couleur ou la pureté au départ. Il peut s’agir d’une petite ou d’une grosse pierre, mais elle doit vraiment plaire à ma sensibilité et apporter quelque chose. Pour moi, un diamant qui n’est pas pur ou qui – selon d’autres – n’a pas la bonne couleur peut être la plus belle pierre du monde. Il est unique et tout dépend de la manière dont il est serti.

OND: Qu’est-ce qui vous attire vers certaines pierres de couleur plutôt que d’autres ?

JDG: Ce n’est pas tant la couleur qui compte que la teinte. Vous pouvez mélanger toutes les couleurs si la teinte est bonne. Certaines pierres vous donneront quelque chose en retour et elles peuvent être si différentes et constituer un mariage parfait. Il peut s’agir d’une citrine et d’un diamant rose, par exemple. Cela ne s’explique pas et n’a aucun rapport avec le prix. Ce qui compte c’est l’impression de beauté qui ressort de l’association de ces deux pierres. 

OND: Et c’est ainsi que l’on sait qu’il s’agit d’un bijou Taffin. Je pense que c’est le fil conducteur. Y a-t-il d’autres pièces dont vous voudriez parler ?

JDG: Je pourrais parler de chacune d’entre elles, mais plus spécialement d’une magnifique bague en forme de poire. C’est dans cette direction que j’ai envie d’aller en ce moment. Avec ces formes et ces couleurs. Cela m’attire énormément.

OND: C’est très « Miami ».
JDG: 
C’est le cas, mais d’une certaine manière pour moi-


Bague en céramique avec diamant taille rose

OND:  C’est de la déco.

JDG : Oui, c’est déco, mais il y a quelque chose de moderne et d’intemporel. J’aime mélanger le métal et la céramique, ce qui est très difficile d’ailleurs parce qu’ils n’ont pas la même dureté et ne se polissent pas de la même façon. Ces bagues sont vraiment délicates à réaliser, car lorsque vous avez ces bagues, toute erreur d’épaisseur se voit, mais vous avez alors affaire, comme mes bijoutiers aiment à me le dire, à un diamant qui n’a pas été taillé correctement. C’est donc toujours la faute du diamant. Pour moi, c’est toujours ce avec quoi vous commencez, ce sont quelques-unes des pièces les plus amusantes avec lesquelles je joue en ce moment, et vous en verrez d’autres. Ce n’est pas pour tout le monde, mais je trouve que c’est ce qui me plaît le plus en ce moment.

OND: Combien de temps ce diamant est-il resté « au réfrigérateur » ?

JDG: Les diamants ne durent pas dans le réfrigérateur. C’est très drôle. C’est comme un steak. Mais on a envie de dire, non, c’est le genre de choses qui ne durent pas, mais on ne sait jamais. Mais je suis heureux de le garder pour toujours.

OND: Je ne pense pas que vous allez le garder à tout jamais.

JDG: On peut avoir un bijou pendant deux ou trois ans, puis les gens viennent et disent : ” C’est si joli, pourquoi n’a-t-il séduit personne ? Je pense que le bijou doit trouver son propriétaire.C’est comme cela que ça se passe. Il ne va pas rester ici pour toujours. Et si c’est le cas, vous savez, ma fille en héritera. Mais il n’a pas encore trouvé quelqu’un qui en soit digne, disons les choses comme elles sont.

OND: Qui le comprend ?

JDG:  Qui le comprend ? Qui est prêt à s’engager ?

POUR CERTAINES PERSONNES
UN DIAMANT QUI N’EST PAS
PUR OU QUI N’A PAS LA
BONNE COULEUR PEUT ÊTRE
LA PLUS BELLE PIERRE DU
MONDE. IL EST UNIQUE ET
DÉPEND DE LA MANIÈRE
DONT IL EST SERTI.

Diamant rond de 8,21 carats de couleur brun-jaune foncé, bracelet en or rose 18 carats et cuir

OND: Pouvons-nous parler un peu plus de la difficulté du sertissage du cuir ?

JDG: Nous avons dû réfléchir à la manière de procéder. Le sertissage lui-même se fait dans le métal. La difficulté était de savoir comment le tenir pour qu’il soit bien fixé et que vous n’ayez pas à vous inquiéter. Tout ce que je voulais voir, c’était un diamant, mais en fin de compte, il fallait faire quelque chose pour le tenir. Je voulais de petites griffes, mais on s’est rendu compte qu’il fallait faire quelque chose d’assez grand pour le tenir en sandwich et d’assez dur pour qu’il ne bouge pas. Il s’agit de construire une boîte sous le diamant, puis de réaliser cette finition qui ressemble à celle d’une montre, mais qui protège le diamant de la saleté et des rayures. C’est vraiment quelque chose qui m’enthousiasme. Aussi simple qu’elle soit, j’imagine des hommes comme des femmes porter cette pièce.

OND:. Exactement. Il ne s’agit pas d’un âge ou d’un sexe en particulier. Je pense que l’on peut avoir 90 ans dans l’Upper East Side et se sentir très cool ou avoir 20 ans.

JDG: Et l’excitation. Encore une fois, il ne s’agit pas d’en faire des centaines de millions d’exemplaires, mais chaque exemplaire sera passionnant parce que chacun d’entre eux portera une pierre unique. J’ai donc hâte de voir à quoi ressemblera une seule pierre. On peut aussi utiliser du caoutchouc si l’on veut être un peu sado-maso. Vous pouvez avoir plusieurs pierres. Vous pouvez avoir une collection de diamants sur le bracelet.

OND: Est-ce la prochaine pièce à sortir du frigo ?

JDG:  Ça va sortir du frigo. Oui, c’est vrai. Nous avons quelques gros bras qui vont sortir du frigo pour ça.

Pendentif avec diamant en forme de cœur de 10,15 carats, taille portrait, nacre, céramique et or rose 18 carats sur un cordon en caoutchouc.

OND: Pouvons-nous parler du diamant taillé en forme de cœur sur le cordon en cuir ?

JDG: Ce diamant est très intéressant. Il s’agit d’une pierre provenant d’une vente aux enchères de Christie’s. Il s’agit d’un magnifique diamant antique taille moghole. C’est une taille portrait et après l’avoir acheté, l’un de mes revendeurs est venu et a renchéri. Je lui ai dit qu’il était superbe, qu’il y avait une petite entaille et que je me demandais si je pouvais le polir. Il m’a répondu : “N’y touchez pas ! Ces pierres ont été polies à la main. Elles ont 200 ans, peut-être plus, et vous pouvez voir la douceur du polissage sur la pierre.” Ils utilisaient du bois pour polir les facettes. Il fallait jusqu’à six semaines, je crois, pour une facette.

Après avoir regardé la pierre, on peut commencer à voir la douceur du poli, qui est un poli élevé mais qui n’est pas une surface très plate. Ainsi, si vous deviez le polir aujourd’hui, l’ensemble serait extrêmement plat et vous perdriez la beauté de ce diamant. Même après toutes ces années, on ne cesse d’apprendre. Ce que je voulais faire à l’époque, parce que c’était du moghol, j’ai [inscrit] le mot amour en arabe sur la nacre, qui est placée à l’arrière. Je l’ai associé à du caoutchouc. Évidemment, il pourrait être porté sur n’importe quoi d’autre.

Photos: Andrew Werner
Directeur de creation video: Brian Anstey
Production Video: Arrow Media Productions